Taza Dans la nuit des temps ..

Un document très précieux, qui m'a été offert en 2007 par un ami cher .. M. Jean Pierre Receveur, l'auteur de ce document est M. Jules Jean PAILLE ancien architecte et historien à Taza, chevalier du Ouissam Alaouite.

Le livre est riche en informations historiques que Taza a connus à l'époque coloniale et au début de l'indépendance..Je pense qu'il est temps de le publier et de le partager avec le public Tazi intéressé sur les pages de votre site MOSTAZA.MA



Préambule


  Un jour de Décembre 1950, après avoir passé la journée dans le gouffre du Friouato, bloqué par une ridicule panne de lumière, je vis arriver les secours, « Mr Paille précédant les gendarmes ». A cet instant je me suis dit qu'il fallait que j'arrête mes expéditions folles et incontrôlées et que j'assume ma passion pour l'exploration des cavernes, en m'associant à quelqu'un qui pourrait assurer ma formation. Qui de plus avisé à Taza que Jean Jules Paille pour me transmettre son expérience et me donner le goût des sciences connexes que sont l'archéologie, la géologie et enfin l'histoire.


   Plus tard je montai une petite équipe de Spéléologues amateurs. qui avaient pour noms : Cerdan, Benarrous, Drissi, Richard, Santovert, Membribes, Lopez Claude avec qui nous avons pu explorer la grotte du Chikker, Le Friouato jusqu'au fond du dernier puits, le Mers Ahmed, les sources de l'Oued Berd etc... toujours sous la surveillance et avec les conseils éclairés de Mr Paille. Je participai aussi à des expéditions archéologiques avec un expert éclairé, le Capitaine Lafenchère. Nous avons fouillé les sites de Bab Boudir (lieu-dit « le nid de cigogne »>, Sidi Mejbeur) ainsi que Outat el Hadj et Safsafat.


   Il y a peu de temps j'ai découvert un document oublié que JJ Paille avait intitulé « Taza dans la nuit des temps ». J'ai retrouvé là, la précision et le goût du savoir que cet homme m'avait communiqué et je n'ai eu de cesse de remettre cet ouvrage en forme avec les moyens informatiques que je possède, d'y ajouter quelques photos pour le rendre plus attrayant et enfin espérer que quelqu'un de plus avisé que moi puisse répondre aux nombreuses questions qui se posent à chaque page de ce livre. C'est dans ce but ultime que ma démarche a commencé et je citerai, pour mettre un terme à ce préambule, la phrase que l'auteur a écrite en conclusion :


« Reste à préserver les vestiges de ce long passé, pour que l'Elite montante o'imprègne de ce qui fut digne et se préserve de ce qui fut néfaste »


Jean Pierre Receveur, Montpellier le 1 mai 2007


Situation Géographique d'Ensemble

   Avant même de consulter une carte, une pensée vient de suite à l'esprit. Le seuil de TAZA, le couloir de TAZA, la tâche de TAZA sont à une série de termes dont l'image est beaucoup plus évocatrice que celle de la "ville de TAZA". Cette première remarque doit nous introduire à considérer que l'étude de TAZA devra déborder largement les frontières étriquées d'un périmètre municipal. Examinons quelle étymologie peut être celle de TAZA L'arabe, cela est normal, ne nous donne rien, le berbère nous permet de formuler une hypothèse. En effet on ne peut s'empêcher de rapprocher le mot TAZA du terme connu TIZI (Col). Nous ne savons absolument rien des dialectes berbères des anciennes tribus de la région. Elles sont actuellement arabisées au point de vue linguistique. Mais le terme TIZI est trop fréquent en berbère pour ne pas envisager la vocalisation en "A". Cette variation linguistique est très possible. Les consonnes seules ayant une valeur fondamentale et les voyelles étant plutôt des éléments de différenciation grammaticale.

   D'ailleurs un cas absolument similaire concerne un lieu dit voisin de TAZA le "Kef Afra" ce point est caractérisé par une grotte très importante. Or, Ifri est le nom berbère, de la grotte L'étymologie nous donne donc la caractéristique essentielle de la villes : être la "Ville du col". A priori Ville et le seuil de TAZA semblent étroitement liés. Mais quel est donc ce seuil. Consultons la plus élémentaire carte du Maroc s elle nous montre TAZA placée à l'étranglement d'une sorte de couloir faisant communiquer ce que le plus ignorant dénomme Maroc Occidental et Maroc Oriental. Ce couloir sépare deux masses montagneuses considérables, lesquelles correspondent à deux éléments essentiels et bien différenciés de l'orographie marocaine avec le Moyen Atlas au SUD et le Rif au NORD. Enfin ces massifs ne sont-ils pas évoqués à nos esprits par les deux termes les plus universellement connus de la pacification du Maroc Y Rif et tâche du Maroc.

   Ces remarques élémentaires, si sommaires soient-elles, me semblent d'une telle importance que nous ne croyons pas devoir justifier davantage l'étude que nous allons entreprendre. Mais un examen plus détaillé de l'emplacement de TAZA et de la disposition de son seuil est nécessaire pour pouvoir saisir dans la valeur, la suite des événements que nous rencontrerons.

 

Situation géographique locale

   Nous avons parlé du seuil de TAZA, mais ce n'est là qu'un terme vague. Il convient de le préciser et de la rechercher en outre pour quelle raison "la ville du col" s'est établie au point précis où elle se trouve. Une carte nous montre le seuil orienté Est-Ouest et drainé principalement par un affluent du Leben "1'Innaouen". L'Innaouen est constitué essentiellement par la réunion de l'Oued Larbaa et de l'Oued El-Haddar, émissaires venant des contreforts du Rif et suivant une direction Sud-Ouest, l'autre une direction Sud-Est. L'Oued Larbaa débouche dans l'axe du seuil, avant de passer au pied de la ville, et reçoit trois kilomètres plus loin, l'apport de l'Oued El 2 Haddar. Nous voyons donc TAZA fort bien placé au débouché de deux voies, d'accès naturels importante vers le Rif. Ces deux voies compartimentent  en trois blocs les massifs qui bordent le seuil vers le Nord. L'Oued Larbaa sépare. la petite chaine orientale du Goribis des collines entamées de vallées profondes des Branés. L'oued El Haddar sépare le pays Branés du massif compact des Tsoul.

   Ces deux vallées sont suivies par les deux routes de pénétration vers le Nord, la route de Kifane, par Dar Caid Medboh et la route de Tainest. La première, par Aknoul et Tizi-Ouzli mène sur les bords de la Méditerranée, soit à Mélilia par l'Oued Kert soit directement à la baie d'Al Hoceima par l'oued Nokour,. Cette route a une importance décisive dans la pénétration du Rif. En outre la bifurcation de Jebarne rejoint la .route de M'Soun à Ain Zorha qui mène également vers Mélilia..

   Cette dernière constitue la grande voie d'accès à la Méditerranée et la bifurcation de Jebarne, après avoir été la voie de ravitaillement des partisans d'Abdelmalek, est aujourd'hui le passage classique des contrebandiers.

   La route de Tainest mène de son côté aux sources de l'Ouergha, au centre des tribus Senhadja et par delà le Tizi Ifri au coeur du pays rifain et à la baie d'Al Hoceima. A son arrivée dans l'axe du seuil et aux portes de la ville, l'Oued Larbaa reçoit divers affluents venant du Moyen Atlas. 1) L'Oued Bouladjéraf qui avec son affluent, l'Oued Ouerguin, draine la haute plaine de Gueldamane, voie de pénétration qui certes ne continue pas très loin, mais a néanmoins son importance dans un massif aussi compact que celui de la partie Nord du Moyen Atlas.

   L'oued Défali. Aux abords immédiats de TAZA, l'Oued Djéouna, parallèle à Enfin, les oueds Anemli et Taza, qui enserrent l'actuelle ville de Taza. Cette série d'oueds constitue un réseau étroit d'eaux fertilisantes et favorables à un établissement humain.

   Il est à remarquer enfin, que les abords de Taza marquent un resserrement très accentué du seuil. L'Oued Larbaa est étroitement canalisé entre les collines d'Asdour et de Kerdoussa au Nord et l'ensemble des buttes constituées par le Draa el Louz, le Koudia Mimouna, le Kern Nesrani et l'éperon de Taza-Haut au Sud.

Examinons maintenant le seuil vers l'Est puis vers l'Ouest. A trois kilomètres de Taza s'allonge entre les vallée de l'Ouarguin et du Djaouna, une longue barrière, le Dra el hamra qui se termine vers le Nord par le piton de Djaouna. Il y a là un position assez sérieuse, mais d'accès trop facile par le Sud et ses pentes sont relativement douces. De plus la plaine de Mekatla au Nord est trop large pour être efficacement barrée et trois cheminements différents y existent.

   Ensuite le seuil s'évase largement entre le Djebel Gouribis et le Draa Sidi Saada pour former une plaine mamelonnée très fertile en année pluvieuse, la Fahéma. Cette plaine est d'abord entaillée par quelques ruisseaux dont 1'Oued Aghbal mène les eaux à l'Oued Bou Ladjéraf.

   On arrive à la ligne du partage des eaux entre les bassins de l'Innaouen, affluent de l'Oued Sebou et du M'Soun, affluent de la Moulouya. Taza n'aurait- elle pas eu sa place en ce point? Nullement, car cette ligne de partage n'est marquée que par un léger bombement dénué de tout intérêt stratégique, le Redjem Zhazha qui se continue vers le Nord par les Aaraguib dont le nom évoque de molles collines sans intérêt.

   Par-delà le Redjem, la Fahéma continue, découpée par les ruisseaux qui descendent vers le M'Soun. Cet Oued arrive du Rif vers lequel sa vallée constitue une voie d'accès facile. Son bassin supérieur est emprunté d'ailleurs par les routes d'Aknoul Tizi-Ouzli et de Mesquitem Ain-Zohra.

   Le M'Soun, venu du Nord dévié vers l'Est à la Kasbah de M'Soun, qui marque vraiment le débouché du seuil de TAZA. En effet ce dernier très élargi s'épanouit à partir de ce point pour se fondre avec les immenses étendues semi- désertiques où se traîne la Moulouya. La route elle-même ne se soucie plus de suivre une vallée et gagne à Safsafat l'Oued Melloulou qui coule à douze kilomètres au Sud de M'Sounet où se confondent les eaux de multiples torrents venus du Moyen Atlas. Le Melloulou va ensuite se jeter dans la Moulouya à Guercif, passage traditionnel de ce fleuve.

   Revenons à Taza et dirigeons nous cette fois vers l'ouest. Après le Kern Nesrani et le confluent de l'Oued el Haddas, l'Innaouen traverse une plaine élargie, bardée au Nord par les collines des Tsoul et vers laquelle les contreforts des montagnes Ghiata viennent mourir en pente continue, tandis que des courts torrents (Oued Moukda, Izmir) les entament de failles impraticables. A signaler simplement une avancée des collines du Massif Tsoul qui étrangle la vallée à Bab-Merzouka. Mais cet éperon à pente douce, tout en constituant un point de surveillance de la vallée, n'a pas les moyens de défense que demandent l'emplacement de Taza. Un point essentiel du Seuil apparait ensuite le col du Touahar. Un examen superficiel semblerait indiquer ce point comme étant vraiment la clef du couloir. C'est en effet là que le seuil est le plus élevé.

   L'Innaouen y fait un long détour au fond d'une gorge vertigineuse. Le Touahar se dresse comme une véritable barrière en travers du Seuil extrême poussée des massifs prérifains vers le Sud. Il correspond à une très ancienne ligne de plissement qui se manifeste de façon importante au Sud par le superbe massif du Tazekka et qui lors de la formation des chaines rifaines et prérifaines, a constitué une ligne de résistance qui a dévié les chainons dans un axe Nord-Sud, suivant la ligne Touahar Hadda Koudiat Bou Djerid - Djebel Kalfa. Mais ce Touahar par son orientation même, ne crée aucune voie de passage obligée. S'il ne peut être question de passer dans la gorge, rien n'empêcherait d'éviter une forteresse placée sur la côte 775, en passant plus au Nord, par exemple en utilisant les vallons des deux affluents de gauche de l'Innaouen, qui l'encadrent, l'oued Bou Khechba à l'Est, l'oued Tléta à l'Ouest. De plus, il ne faut pas oublier que l'on a aucune difficulté à éviter le Touahar en suivant la vieille piste qu'utilisait le Maghzen et qui, passant par l'Oued Amelil traversait le pays peu mouvementé des Ouled-Zbair, remontait l'Oued Zouitina et par Bab-Ramela et Bab Amama, rejoignait un vallon débouchant dans l'Oued El Haddar. Sans insister sur les autres inconvénients du Touahar difficultés de l'alimentation en eau, aridité des parties schisteuses, nous voyons que le Touahar ne pouvait être prédestiné à l'emplacement de Taza. De l'autre côté du Touahar, nous débouchons dans un nouveau bassin. Versle Nord, les collines Tsoul sont peu élevées et viennent mourir mollement sur les berges de l'Innaouen. Vers le Sud un glacier en pente douce constitué par des tables calcaires, est entaillé de gorges impraticables des Oueds Koheul, Bou-Khelloul, Sidi Reguig. Dans cet élargissement débouche au Nord la large voie d'accès de l'Oued Amelil. A partir d'ici, il ne peut plus être question de trouver une position de "Ville" du Col.

   En effet, à l'Ouest le Moyen Atlas s'éloigne vers le Sud et on ne trouve de ce côté de l'Innaouen qu'un vaste plateau doucement incliné. Certes la vallée est parfois étranglée par les collines des Hayaina au Nord et les avancées du plateau des Mgassa et de Matmata au Sud, en particulier à Sidi- Abdallah, que domine la coulée volcanique de METAHEN. Certes les canons des Oueds Zireg Kaouen et la gorge de Bou-Hellou gènent le passage au Sud de l'oued. Mais, ni le fouillis des collines du Nord, ni la faible altitude du plateau ne constituent des obstacles sérieux. Ce qui restreint surtout 1'intérêt de cette partie du seuil, c'est que la large vallée de l'Oued Amelil, qui sépare le massif Tsoul des collines Hayaina, offre aux communications Ouest-Est un excellent passage pour rejoindre Tissa et la vallée du Leben. Ce passage fut la route classique du Maghzen. L'oued Amelil permet encore un accès facile vers le pays Senhadj. Aussi, ne serons-nous pas étonnés de voir les villes défuntes de Tsoul et d'Ain Ishaq, établies auprès du carrefour que constitue l'Oued Amelil vers Tissa, les Senhadji et l'Innaouen.

   La conclusion de cet examen est donc que Taza ne pouvait se trouver que dans le défilé qui sépare les confluents de l'oued Bouladjéraf et de l'Oued-El- haddar.